AJ Pénal 2007 p. 301 DALLOZ

AJ Pénal 2007 p. 301 DALLOZ

La défense pénale est un métier(1)

Philippe Vouland, Avocat, Co-directeur de l’Institut de défense pénale

Les organisations représentatives de la profession d’avocat oeuvrent à préserver son unité. Les plus réalistes ont cependant depuis longtemps affirmé que les avocats possédaient « une profession » et « des métiers ». Même si la défense pénale s’intègre dans la spécialité « droit des personnes », le dossier de ce mois démontrera que cet exercice exige « un apprentissage, de l’expérience entrant dans un cadre légal » et qu’il peut se définir aussi comme « un savoir-faire, une habileté technique résultant de l’expérience ». Il s’agit là de deux définitions du mot « métier » données par le dictionnaire Larousse.

La défense pénale peut s’affirmer comme un métier (pas plus compliqué techniquement que bien d’autres) parce qu’elle a ses règles, ses codes, son évolution et que ses artisans sont en perpétuelle quête d’efficacité, d’adaptation et de formation.

Nous n’allons pas développer ici une histoire de la défense pénale à travers les siècles, ni chercher à recenser les écoles, si tant est que cela soit possible, ni même évoquer les nouveaux champs de la procédure pénale et du droit pénal liés notamment à l’exécution des peines, qui doivent aujourd’hui être anticipés avant toute défense. Le dossier de ce mois abordera, sous la plume d’avocats et de magistrats, les grandes questions stratégiques à la fois déontologiques, éthiques, techniques et juridiques, qui peuvent se poser à tout avocat abordant un dossier pénal.

L’avocat, sans être un général d’armée, se doit de savoir, de connaître, d’anticiper, d’attaquer, de biaiser. La dimension stratégique de sa fonction existe, voilà pourquoi on parle souvent de stratégie de défense. Cependant, l’association de ces deux mots recèle « un je-ne-sais-quoi de péjoratif ». La défense et son panache blanc semblent se corrompre à l’aspect calculateur que recèle le mot « stratégie » et se connote aussitôt d’une dimension insincère.

Le rôle de l’avocat est difficile à expliquer et même à justifier. Les acteurs du procès pénal comprennent et respectent l’avocat grâce à une formation solide et en général une conviction profonde de son utilité. Il est plus difficile aux citoyens et donc aux jurés d’assises de comprendre à quoi sert un avocat.

Les difficultés sont nombreuses et parmi les premières on relève l’appréciation des notions de vérité et de défense d’un individu coupable. La croyance commune veut que la vérité se présente une, indivisible, sans fard, avec simplicité. La vérité est spontanée, réfléchir, c’est déjà dissimuler… Cette manière trop simple d’appréhender la vérité, cette méfiance à l’égard de la stratégie rendent peu aisée la preuve de l’utilité de l’avocat à l’innocent, à la recherche de la vérité ou à sa participation à construire le juste.

C’est par son sens de l’action que l’avocat existe et justifie son existence ; c’est pourquoi, dès le premier entretien avec un client, il cherche à répondre à cette question : « A quoi puis-je servir ? Quel but je recherche ? ». Aussitôt il vérifie que celui qui le désigne pour défenseur le fait pour les mêmes raisons.

Dans le domaine du conseil et du droit des affaires, l’avocat se pose des questions sur la valeur ajoutée de sa prestation, sur la singularité et l’utilité de son engagement, qui se doit d’être différent du travail de recherche d’un directeur juridique, salarié d’une entreprise, ou de la vision parcellaire d’un expert-comptable.

De la même manière, l’avocat pénaliste, qu’il le veuille ou non, à quelques situations exceptionnelles près, est désigné pour être un « marchand de résultat » et doit chercher sa valeur ajoutée. La question lancinante devient donc : « Quel résultat doit être recherché et peut être obtenu ? ».

Deux situations doivent être distinguées, selon que l’avocat est celui de la défense ou celui de la partie civile.

L’avocat de la partie civile
C’est dans ce rôle que l’avocat peut sans doute le mieux résister à la fonction trop réductrice de « marchand de résultat » à laquelle on veut trop souvent le cantonner.

Auxiliaire de l’accusation
L’avocat doit certes participer à l’accusation par la démonstration de la preuve de culpabilité si celle-ci est contestée et évoquer la mémoire et la souffrance des victimes, mais il doit toujours rappeler qu’il n’intervient pas dans le choix de la peine.

Le choix de la peine
Ce dernier point ne résulte d’aucun texte ; il est le fruit d’une pratique, d’une tradition qui se transmet de génération en génération.

Certains contestent cette retenue, d’autres la contournent habilement en comparant dans leur plaidoirie diverses affaires déjà jugées sans oublier évidemment d’énoncer le verdict.

Certains avocats se spécialisent dans la défense de victimes ou de certaines victimes et ne plaident pratiquement jamais en défense. Dans ces conditions, leur pratique peu à peu se déforme et d’auxiliaires de l’accusation, ils peuvent devenir accusateurs.

Les avocats qui revendiquent de plaider tantôt du côté des parties civiles, tantôt de celui de la défense, ont, pour des raisons de crédibilité, sans doute des manières plus retenues de présenter l’accusation.

C’est à la lueur également de ces pratiques ou du militantisme de certaines parties civiles que se prennent les grandes décisions stratégiques que sont la correctionnalisation d’un dossier ou le huis clos d’une audience.

La correctionnalisation
Cette pratique n’est possible que par une faute juridique admise par toutes les parties. Il convient donc d’avoir le consentement de la partie civile pour qu’un dossier dirigé vers la cour d’assises se retrouve devant le tribunal correctionnel.

La responsabilité de l’avocat réside dans la présentation des avantages et inconvénients des deux formes de procédure ; il est évident que le besoin de solennité ou de répression d’une victime lorsque celle-ci se plaint d’un viol et lorsqu’elle se plaint d’un vol par deux jeunes gens tremblants avec une arme factice dans un commerce n’est pas le même.

Certains avocats sont quelquefois suspectés de dramatiser juridiquement une affaire pour le plaisir de plaider devant la cour d’assises… d’autres sont susceptibles de minimiser la situation par crainte absolue de plaider devant une telle juridiction.

En toute hypothèse, l’avocat doit s’effacer et aider la victime à choisir la solution qui correspond le mieux à son souci de réparation.

Le huis clos
Dans les affaires sexuelles, la décision est en réalité prise par la partie civile.

Là encore, deux écoles s’affrontent :

– celle qui estime que les victimes doivent être protégées du regard du public et de la presse, et qui souhaite ainsi vivre une audience la plus intime possible ;

– celle qui estime au contraire que leur affaire mérite l’exemplarité et que l’intimité et la discrétion ne profitent pas à leur adversaire.

Quelles que soient les préférences personnelles de l’avocat, il est évident que seule une écoute attentive des victimes permet de guider ce choix crucial.

L’attitude de la partie civile
Les affaires de viol et d’agression sexuelle font apparaître de grandes divergences sur les modes d’action des avocats, notamment en partie civile. L’avocat peut-il tout se permettre dans le registre de l’émotion pour tirer le juge par la manche ?

Nous sommes un certain nombre à répondre « non ».

Mais d’autres, fidèles au but fixé, n’hésitent pas à installer au premier rang des parties civiles, des enfants victimes, par exemple porteurs de leur nounours, de leur poupée ou de leur doudou…

Certains avocats par contre refusent systématiquement les dossiers de partie civile, estimant que leur fonction est exclusivement de défense et estiment ne pouvoir se maintenir à un haut niveau d’exigence si, même exceptionnellement, ils venaient à « pactiser » avec l’accusation.

Là encore, nous sommes un certain nombre à penser que la défense des victimes n’entame aucune crédibilité et que la vérité et la souffrance de celles-ci portées, côtoyées, ressenties, aident à construire un avocat plus complet et plus efficace.

L’avocat de la défense
Nous évoquerons trois situations : la personne défendue nie les faits ; la personne défendue reconnaît les faits ; les situations exceptionnelles.

La personne défendue nie les faits
C’est probablement dans la relation avec le client que le mot stratégie se justifie le plus. L’avocat n’a pas nécessairement besoin de confidences, le dossier peut suffire. C’est la démonstration faite par l’avocat à son propre client à partir des éléments du dossier qui aide celui-ci à trouver son chemin.

L’avocat ne doit décider pour son client qu’exceptionnellement ; il doit cependant pour l’utilité de sa défense l’éclairer, lui « faire la trace » pour lui permettre de faire le bon choix.

C’est dans cette situation de négation des faits que la grande question sur l’avocat et la vérité trouve toute sa dimension. Après une analyse scrupuleuse des charges et une discussion de celles-ci, un doute raisonnable existe t-il ?

Un avocat doit-il inciter son client à avouer des faits qu’il nie ?
A cette question la réponse est « oui », mais de manière tout à fait exceptionnelle. En effet, de nombreux avocats répondent non et on ne saurait être trop prudent sur cette question.

Il arrive, certes rarement, qu’une audience bascule sur un détail inexploité et s’achève sur un acquittement ou une relaxe inespérée en cours d’enquête.

L’avocat de la défense n’est pas un auxiliaire ; il défend aussi fidèlement que possible la thèse de son client. Si l’avocat ne croit pas à l’incroyable, qui le fera ?

L’avocat doit avoir chevillée au corps cette vérité : dans toutes les erreurs judiciaires on a refusé de croire à l’incroyable !

Un avocat peut-il inciter un client à rétracter des aveux ?
La rétractation d’aveux est une attitude courante, lorsqu’elle est conseillée par un avocat elle est tout à fait exceptionnelle.

Au-delà de toute morale, c’est la vérité du client qui compte et des aveux prononcés pour protéger quelqu’un, des aveux sous la contrainte, des aveux délirants ne sont pas des hypothèses d’école…

Un avocat peut-il plaider coupable alors que son client se dit innocent ?
Il s’agit là évidemment d’un exercice particulièrement délicat. L’avocat, dans cette hypothèse, décide de décider. Il se trouve dans la position du médecin à qui le patient, pour conviction religieuse ou philosophique, refuse une transfusion. Il passe outre.

Pour l’avocat cependant se pose la question du mandat. Il doit théoriquement se faire autoriser une liberté de parole ou abandonner toute défense.

Cette position absolutiste se conçoit essentiellement pour le procès criminel à très gros risque. On peut aussi envisager qu’avec habileté un avocat puisse faire apparaître tous les ingrédients de son subsidiaire (l’atténuation de la peine) dans son principal (la relaxe ou l’acquittement).

Le subsidiaire à notre sens ne se plaide pas séparément du principal car il l’affaiblit.

On ne peut dire : « je n’ai pas volé le vase et si je l’avais volé, de toutes façons il était ébréché ».

On peut peut-être dire : « que d’histoires pour un vase ébréché que je n’ai de toute façon pas volé ».

C’est évidemment lorsqu’un client nie les faits et tente d’échapper à tout châtiment que l’avocat peut se trouver dans une position ou tout lui paraît hostile : magistrat du siège, magistrat du parquet, police, opinion publique…

Il arrive cependant que la reconnaissance des faits ne fasse pas davantage sortir l’avocat de la défense de son isolement.

La personne défendue reconnaît les faits qui lui sont reprochés
Sous la réserve évoquée précédemment d’aveux fantaisistes, nous sommes dans la situation apparemment la plus aisée (le décorticage à la virgule près du dossier semble moins indispensable) et en réalité la plus difficile puisqu’il va falloir expliquer, faire comprendre parfois l’inexplicable, et détourner ou atténuer la charge d’une accusation qui a tout pour elle : la loi, la morale, les convenances…

La culture criminologique devient alors une alliée, la capacité d’écoute et de compréhension, la connaissance qui permet d’analyser en profondeur une expertise psychologique ou psychiatrique vont permettre d’explorer le passage à l’acte délinquantiel et son cheminement. Une connaissance la plus complète et la moins pédante possible des sciences humaines pourront guider l’avocat dans le choix de ses mots.

Il est évident que là encore, sans être le premier juge de son client, l’entretien préalable et l’aide au choix des idées et des mots de l’intéressé(e) lui(elle)-même seront déterminants.

L’avocat doit toujours être conscient que le juge est intéressé exclusivement par celui qu’il défend et que c’est lui qu’il « sonde ».

Que la plus mauvaise pièce du dossier soit le client ou que ce ne soit pas le cas, le rôle d’avocat en amont ne sera pas celui de conseiller en mensonge mais celui de « coach ». Il devra aider, autant que faire se peut, l’intéressé à être lui-même ou tout au moins à être le plus en lien possible avec ceux qui le jugent.

C’est probablement dans cette situation qu’on peut le mieux apprécier l’humour de notre confrère Jacques Mazella di Bosco, qui énonce : « dans certaines circonstances, il n’y a qu’une personne à sauver : l’avocat ! ».

Les circonstances exceptionnelles
Il s’agit des cas dans lesquels la défense refuse « le combat » (les exceptions de nullité) ou le déclare total (la défense de rupture).

Les exceptions de nullité
Dans la majorité des affaires, les nullités ne sont purgées par aucune ordonnance de renvoi et c’est à l’audience que la question peut être posée et la réflexion est sensiblement identique en cours d’instruction.

Deux manières de faire peuvent s’affronter.

La première que peut dicter une certaine paresse et qui consiste à penser que « tout ceci ne sert à rien » et qu’il s’agit de reculer pour mieux sauter si l’annulation n’est pas totale ou si après annulation la prescription n’est pas acquise ou encore s’il s’agit d’une simple nullité de citation hors toute question de prescription.

La deuxième est celle de l’intransigeance. Toute nullité prononcée affaiblit un dossier, la défense doit exercer son contrôle sur la régularité des procédures. Etre jugé par un juge répressif peut toujours attendre…

Selon les dossiers, les clients, les dates de renvoi, les risques encourus, les réflexes qui s’émoussent, un même avocat peut changer de manière de faire plusieurs fois dans une même semaine…

C’est cependant dans cette situation que l’avocat empêcheur de juger en rond peut se sentir le plus importun.

Rappelons toutefois que ménager un juge un jour, pour espérer une faveur plus tard est un très mauvais calcul. Le juge ne se détermine jamais sur le critère de son propre confort. Critiquer une procédure, faire valoir un texte de loi constituent l’essence même des métiers du droit.

L’avocat doit savoir résister à l’ambiance générale, qui à certaines heures de la soirée laisse penser aux professionnels du droit, toutes catégories confondues, que dans « administration de la justice » c’est le premier mot qui est le plus important.

La défense de rupture
Ce n’est pas à la fin de cette présentation que nous ferons l’exégèse de cette pratique.

Un film(2) et un livre(3) y suffisent tout juste.

Souvenons-nous toutefois que dans des périodes troublées, il est arrivé, et il arrive encore aujourd’hui, notamment devant les juridictions pénales internationales, que des avocats complices au moins intellectuellement de tout ou partie de l’attitude de leur client souvent militants, plaident autre chose que le dossier, contestent la légitimité du tribunal, contestent la loi elle-même, plaident pour une cause, pour l’Histoire, et sont dégagés de toute idée de résultat, le pire étant souvent le plus utile !

A ce jeu-là, tous les coups sont permis y compris ceux que l’on reçoit.

Ce mot « défense de rupture » ne peut être galvaudé.

Le fait d’être pugnace, intransigeant, tonitruant, courageux voire insolent, ne qualifie pas la rupture, même si ce type de défense, qui s’apprend surtout dans les livres et auprès d’illustres anciens, peut alimenter la culture générale indispensable à tout avocat.

Défense ou partie civile, client de bonne ou de mauvaise foi, écoute, anticipation, intuition, émotion, recherche, désir de mise en scène, ou désir de discrétion, rupture ou connivence, plaidoiries courtes ou longues, mezzo voce ou tonitruantes constituent une infime partie des facettes d’un savoir-faire et d’un savoir-être qui s’apprend, s’emprunte, se solidifie ou s’affaiblit de mille manières non encore inventoriées, mais qui nous laissent malgré tout penser que la défense pénale est un métier.

Mots clés :
DROITS DE LA DEFENSE * Assistance * Stratégie de l’avocat * Défense pénale * Métier

(1) L’AJ Pénal, dans son numéro 7-8/2007, a consacré un dossier à L’avocat et l’investigation du fait :quelle stratégie pour la défense ? composé, outre la présente contribution, des articles suivants :

L’avocat face au dossier de la procédure, par François Saint-Pierre, p. 306.

L’avocat face à son client, par Alain Molla, p. 308.

Juge et avocat : le désamour, par Emmanuel Daoud, p. 310.

Les stratégies de la défense devant le juge d’instruction, par François Saint-Pierre, p. 313.

Juge d’instruction et avocat : vous avez dit contradictoire ?, par Pascale Belin et Thierry Pons, p. 315.

(2)L’Avocat de la terreur, film de Barbet Schroeder.

(3) Jacques Vergès, De la stratégie judiciaire, Editions de Minuit, 1981 (préface entretien avec Michel Foucault).

AJ Pénal © Editions Dalloz 2013