AJ Pénal 2008 p. 450 DALLOZ

AJ Pénal 2008 p. 450 DALLOZ

La défense d’une des parties peut-elle influencer la direction de l’enquête ?(1)

Philippe Vouland, Avocat au Barreau de Marseille, co-directeur de l’Institut de défense pénale

L’expression consacrée pour définir le déclenchement de l’action publique est : « la mise en mouvement ». Il en va de même pour celui d’une enquête.

En effet des hommes et des femmes sont mobilisés et cherchent en allant d’un point à un autre à faire cesser un trouble à l’ordre public, à arrêter des personnes qui ont transgressé la loi et à permettre dans le respect de leurs droits fondamentaux de les condamner.

Les avocats des mis en cause ou des victimes ne sont pas invités à participer à ce mouvement. Tout au plus (pour les victimes) peuvent-ils après un délai et un règlement pécuniaire le déclencher.

Les avocats ont donc le choix pendant le déroulement de l’enquête entre deux attitudes :

– accompagner le mouvement ;

– chercher à infléchir ou contrarier le mouvement.

Accompagner le mouvement
Cette attitude a été très majoritairement celle de nos aînés. Le code de procédure pénale leur faisait peu de place, ils assistaient aux interrogatoires, ne pouvaient consulter les dossiers que 24 heures avant celui de leur client et le juge d’instruction n’était tenu de répondre qu’à leur demande de mise en liberté. La tradition et la réputation de l’avocat pénaliste dilettante, piètre juriste et bon orateur (dans le meilleur des cas) étaient quasiment consacrées par la loi !

Depuis 1993, une série de dispositions nouvelles fait encourir de graves responsabilités aux avocats qui resteraient dans ce schéma.

Pourtant… dans la grande majorité des affaires pénales, les faits sont entièrement reconnus et la discussion de fond ne porte que sur le quantum de la peine à infliger.

Tout au plus lorsqu’un juge d’instruction est saisi, l’avocat se doit d’évaluer si le temps est son allié ou son adversaire.

S’il est son allié et que son client est libre, le temps va s’écouler « longtemps et naturellement », l’avocat devra alors expliquer à celui qu’il défend et à son entourage qu’« il est urgent de ne rien faire ».

Si le temps est son adversaire, l’avocat devient harceleur de juge d’instruction ou de procureur au moment du règlement et lorsque avocat de victime, une plainte simple a été déposée.

Il est évidemment recommandé de demander l’application de l’article 175-1 du code de procédure pénale qui permet à une partie de solliciter, à l’expiration du délai estimé à l’issue de l’interrogatoire de première comparution ou après quatre mois sans avoir été interrogé, le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement ou le non-lieu.

L’utilisation de cet article est à articuler avec un éventuel recours contre l’Etat devant le juge civil pour non-respect du délai raisonnable (art. 6 Conv. EDH et art. L. 781-1 COJ). Nous connaissons en effet au moins une décision où la partie a été déboutée de son recours pour n’avoir pas utilisé la requête de l’article 175-1 du code de procédure pénale.

Même dans cette attitude quelque peu offensive, on peut tout de même affirmer que l’avocat accompagne le mouvement. Il est alors essentiellement soutien psychologique, moral, social. Il est un coach, un conseiller en comportement. Il collationne divers documents qui permettront de démontrer l’insertion sociale, la faible dangerosité.

Bien qu’il soit courant de dire qu’il n’existe pas de jurisprudence concernant le quantum de la peine (l’individualisation étant la règle), l’avocat l’étudie, la soupèse, la présente.

A l’audience enfin, qui était autrefois son apothéose, l’avocat cherche à conduire son client de la manière la plus présentable, puis à capter l’attention du juge voire sa sympathie en essayant de ne pas dépasser dans sa plaidoirie 9 minutes et 50 secondes (la plaidoirie de moins de 10 minutes dans cette hypothèse est très tendance).

Infléchir ou contrarier le mouvement
Nous sommes dans l’hypothèse de faits totalement ou partiellement contestés dans leur matérialité ou parfois simplement dans leur contexte (légitime défense ou pas, grand banditisme ou pas, mobile plus ou moins « noble »…)

Lorsqu’on étudie la place de la défense dans l’enquête ou les stratégies éventuelles d’avocat, le débat peut être passionné et passionnant mais il convient toujours de rappeler que celui-ci est totalement absent dans la phase d’enquête dans 95 % des affaires !

Affaires qui se soldent souvent, notamment en comparution immédiate, par des mois ou des années de prison ferme.

L’enquête sans instruction – l’avocat absent peut-il se rendre utile ?
Il doit chercher à l’être. Les avocats pendant quelques années de la période révolutionnaire ne furent plus admis au procès, ils écrivaient alors des mémoires qui furent parfois édités et vendus (!), ils étaient les porte-plumes de leurs clients et se forgeaient parfois de fort belles réputations liées à leur efficacité.

Les avocats se doivent donc d’entrer par les fenêtres lorsque les portes leur sont fermées.

Dans les affaires qui ne font pas l’objet d’instruction des situations fort différentes existent, nous les réduirons à deux :

– soit la personne est déférée en comparution immédiate, convoquée par COPJ, CPPV ou citation directe avant d’avoir consulté un avocat ;

– soit la personne sait qu’elle est visée par une enquête et consulte un avocat pendant celle-ci ou avant de se rendre à une première convocation de police ou de gendarmerie.

Dans la première hypothèse, l’avocat est dans la même situation qu’avant 1897, il est un accompagnateur. S’il a rendu visite à son client en garde à vue, il n’aura pas omis sa boule de cristal pour donner une consultation sérieuse.

A l’audience, il pourra citer des témoins en général non entendus par la police, mais l’expérience démontre qu’un témoin à charge entendu dans un commissariat est souvent plus crédible qu’un témoin à décharge entendu à l’audience…

L’avocat sera alors considéré comme un suprême empêcheur de tourner en rond, comme un obsessionnel et montré du doigt parce qu’à cause de lui, le tribunal au lieu de lever son audience normalement à 23 h après 9 heures d’audience risque de le faire à minuit…

Dans la deuxième hypothèse, l’avocat devra expliquer à son client que le personnage le plus important du commissariat est l’ordinateur, qu’il doit veiller à ce qui s’y inscrit, car même en situation de bonne foi totale des incompréhensions s’immiscent entre celui qui dépose et celui qui retranscrit (les avocats en sont les témoins quotidiens dans les cabinets d’instruction).

Il devra lui conseiller de prendre les nom et adresse des personnes qu’il souhaite voir témoigner.

L’avocat peut également écrire au service d’enquête ou au parquet pendant le temps de l’enquête préliminaire pour solliciter l’audition de témoins. Ces interventions ne sont évidemment pas prévues par le code de procédure pénale mais elles seront dans nombre de cas considérées comme « éléments du dossier ». L’avocat tel le petit poucet balise son chemin.

L’enquête avec instruction – l’avocat peut être utile
L’avocat peut aujourd’hui prendre des initiatives procédurales.

La demande de nullité de la mise en examen (art. 80-1 c. pr. pén.), la demande de conversion du statut de mise en examen en témoin assisté (art. 81-1-1), l’action en clôture article 175-1 du code de procédure pénale sont des actions qui permettent à l’avocat de faire statuer sur une situation, de permettre une évaluation des charges mais qui ne sont pas de nature à influencer le travail d’enquête.

En revanche, les dispositions relatives aux demandes d’actes ou concernant les expertises et surtout celle prévue par l’article 221-3 du code de procédure pénale sont d’une tout autre nature.

Les demandes d’actes (art. 81, 81-1, 82-1, 156 et 161 c. pr. pén.)
Ce droit fête ses 15 ans cette année et n’a plus à être détaillé, rappelons que la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas et que s’abstenir de faire les requêtes article 82-1 peut être un handicap pour critiquer l’instruction à l’audience… Il en va de même en ce qui concerne le droit nouveau (5 mars 2007) permettant aux parties de solliciter une orientation particulière en matière d’expertise.

La demande de l’article 82-2
Ce droit n’a que 8 ans et mérite d’être défendu, il permet de demander à ce qu’un acte d’instruction soit fait en présence de l’avocat du requérant. Il s’agit d’une véritable immixtion dans la direction de l’enquête.

La préoccupation des avocats concerne les commissions rogatoires à décharge (ou à charge lorsqu’on est partie civile). En effet, lorsqu’un avocat sollicite une investigation, elle peut parfois avoir pour objet de démontrer qu’une erreur ou une approximation a été commise par les fonctionnaires chargés de l’enquête initiale ou des premières constatations.

Il paraît difficile de demander par commission rogatoire au même service de police ou de gendarmerie de dire quelque chose de très différent de ce qu’il disait quelques semaines ou quelques mois plus tôt.

C’est pour ces raisons que les avocats peuvent solliciter l’intervention directe du juge (l’art. 82-1 le prévoit) et l’application de l’article 82-2.

L’action en contrôle d’instruction judiciaire (art. 221-3 c. pr. pén.)
Cette disposition phare de l’après Outreau, loi du 5 mars 2007, permet, lorsqu’une instruction est ouverte et qu’une personne est détenue depuis trois mois, au Président de la chambre de l’instruction, d’office ou à la demande des parties, de saisir cette juridiction afin qu’elle examine l’ensemble de la procédure.

La chambre de l’instruction peut alors tout faire, changer de juge ou en désigner plusieurs, ordonner des actes, désigner des experts, scinder le dossier, l’évoquer totalement ou partiellement, ordonner des non-lieux ou des renvois, partiels ou non, ordonner les mises en liberté ou des placements sous contrôle judiciaire.

Cet article permet aux parties de contester, voire de remettre en cause les pratiques, les manières d’opérer ou d’interroger des policiers et des juges.

Elle permet une appréciation de l’enquête dans tous ses aspects.

Ce droit a été inventé dans l’émotion de l’après Outreau.

Force est de constater qu’après 18 mois de pratique, le bilan est exceptionnellement décevant. Une enquête pour les besoins du présent article a mis en évidence les faits suivants : dans les Cours d’appel d’Aix-en-Provence, Lyon, Nîmes, Paris et Pau, représentant 16 chambres d’instruction et largement plus de la moitié du barreau français, on note en 18 mois d’existence, zéro saisine à Aix-en-Provence, Lyon et Pau, trois à Nîmes (la Cour n’ayant jamais été saisie), 32 à Paris en 2007, 5 en 2008, pour un total de 5 604 dossiers enregistrés mi-octobre 2008.

Le législateur a voulu que l’enquête puisse être sérieusement discutée, les praticiens n’utilisent pas l’outil fourni.

Les rapports entre les chambres d’instruction et les juges étant plus des rapports de partenariat que de contrôle, nombre d’avocats « jouent battus ».

La saisine article 221-3 est une suspicion légitime au petit pied et se pratique donc très peu.

L’ensemble des outils que nous venons d’examiner permet donc d’affirmer que l’avocat ne dispose que de peu de moyens pour contester ou contrarier une enquête.

La tentation est grande de se livrer alors à la recherche privée de la preuve.

La recherche privée de la preuve
Il est certes envisageable de produire des constats de temps de trajet, de transcription d’enregistrement, de produire des pièces mais il s’agit là d’investigations limitées.

Cette pratique de l’enquête privée ne s’inscrit pas dans la tradition française et pose surtout de nombreux problèmes.

Nous ne pouvons que vous renvoyer à l’article de François Saint-Pierre, avocat à Lyon, paru dans les documents distribués par Dalloz formation (p. 190 s.) à l’occasion d’une formation Dalloz-IDP Paris 12 juin 2008 « Enquête de police et instruction judiciaire : quel rôle pour l’avocat ? ».

La Cour de cassation ne reconnaît pas le droit de recours à un détective privé comme droit fondamental de l’accusé, les enquêtes privées font encourir un risque pénal à ceux qui les pratiquent (violation de la vie privée, de domicile ou du secret de correspondance).

La législation sur les fichiers limite certaines investigations, la protection de la vie privée interdit surveillance et filature.

Certes la jurisprudence de la Chambre criminelle est différente de celle des Chambres civiles et permet davantage la production de preuves qui peuvent paraître déloyales mais l’avocat enquêteur change de statut. Son rapport au secret professionnel ne peut plus être le même.

Que faire par exemple lors de la découverte d’un élément à charge contre son propre client ?

La déontologie de l’avocat pénaliste américain et la différence de notre rapport à la vérité et au mensonge doivent nous inciter à la réflexion et à la prudence.

C’est sans doute dans la recherche de nouveaux outils, de nouvelles actions moins concentrées ou moins violentes que celles prévues par l’article 221-3 du code de procédure pénale que se trouve la solution.

L’avocat ne peut plus se contenter d’un rôle de commentateur et sa place pendant l’enquête qui va aujourd’hui de l’absence au strapontin reste à inventer.

Il suffit de se souvenir que les progrès des droits de la défense et du respect des libertés individuelles n’ont jamais conduit une société à sa perte, l’Histoire nous enseigne exactement le contraire.

Mots clés :
ENQUETE PRELIMINAIRE * Investigations * Direction de l’enquête * Rôle de la défense

(1) L’AJ Pénal, dans son numéro 11/2008, a consacré un dossier à La direction de l’enquête pénale, outre la présente contribution, des articles suivants :

Regards croisés sur la direction de l’enquête dans les procédures pénales par Catherine Giudicelli, p. 439 ;

L’étendue des nullités au cours de l’enquête pénale : quel contrôle de la police judiciaire ? par Catherine Giudicelli, p. 445 ;

La direction de l’enquête : distinguer l’opérationnel du procédural par Mar Schwendener, p. 447.

AJ Pénal © Editions Dalloz 2013